Le monde affronte désormais quatre risques de grande envergure : crise climatique et énergétique complètement liées entre elles dans le long terme et combinées à des risques avérés de récession et de crise financière à l’horizon 2020-2021.

Après avoir analysé l’accumulation de ces risques qui forme un défi sans précédent dans l’histoire humaine, notre réflexion propose une approche globale pour les maîtriser : celle-ci prend la forme d’un « carré vertueux » dont chaque côté soutient les autres d’une manière indissociable et cohérente. Elle invite à revoir dans son ensemble le fonctionnement de notre système économique en vue de restaurer son équilibre.

Il convient en effet de mener tout à la fois quatre actions concomitantes accompagnant le monde dans son inévitable descente énergétique :

  • Enfin pénaliser les émissions de carbone par la généralisation des permis d’émettre et l’instauration d’une taxe mondiale sur le CO2 comme proposé par le prix Nobel d’économie Jean Tirole (*) dès 2015; couplée à la création d’une « monnaie-carbone » récompensant sous forme de « certificats » les économies de carbone comme imaginé par Michel Aglietta (*), cette mesure universelle permettra de réduire enfin les émissions dans la ligne proposée récemment par les Nations Unies ( -55 pour cent au cours de la prochaine décennie pour une stabilisation du climat à 1,5 degré); la monnaie-carbone relancera l’innovation dans le sens exigé par la transition énergétique.
  • Compte tenu des ponctions inévitables qui en résulteront indirectement sur le pouvoir d’achat des salariés, il sera donc indispensable de renforcer celui-ci à l’échelle mondiale sans détériorer la compétitivité des entreprises ; ce sera principalement par un arbitrage entre les revenus du travail et ceux du capital.
  • En définitive, ce plan d’ensemble n’est pas compatible avec le niveau actuel des inégalités et suppose donc un « new deal » écoresponsable visant à écrêter les très grosses rémunérations ; mettre un terme à la mentalité du « toujours plus » qui nous emmène droit dans le « mur climatique » alors que nous devons viser collectivement la sobriété.
  • Enfin, la récession et la crise financière pourront être évitées en 2020-2021 par un plan de relance massif de l’investissement public, soigneusement coordonné par le G20 en fonction des niveaux d’endettement par pays, et dans la ligne de la proposition faite par les auteurs dans Les Échos du 12 août ( *); quatre grands chantiers d’infrastructures de lutte contre le réchauffement climatique sont identifiés dans cet article, dont la relance du projet d’énergie nucléaire de la quatrième génération.

Ce « carré » vertueux doit accompagner la descente énergétique d’un monde désormais contraint à une croissance très faible.

L’accumulation des risques

Les données sur la crise climatique sont connues et indissociables de la crise énergétique à venir dont elle est le corollaire.

Quelques points-clé sur cette double crise méritent d’être clarifiés :

  • L’urgence tout d’abord d’atteindre les objectifs fixés pour 2030 ( -55 pour cent de CO2) qui ne sauraient être éclipsés par l’objectif plus lointain de « neutralité carbone » visé en 2050; en effet l’inertie du CO2 dans l’atmosphère est très forte ( sa concentration atteindra encore les 50 pour cent au bout d’un siècle).
  • Compte tenu de l’importance des énergies fossiles dans la consommation totale d’énergie ( 80 %), l’objectif fixé pour 2030 implique donc une réduction de la consommation d’énergie de 44 % en 10 ans à bouquet énergétique constant ; d’où les difficultés à maintenir l’activité sans relancer massivement les autres composantes du bouquet énergétique dont le nucléaire et l’hydroélectricité qui présentent les meilleurs taux de retour énergétiques (*).
  • Enfin des données irréfutables montrent que le déclin du pétrole se situe à peu près à la même échéance puisque le « pic de Hubert » a été dépassé en 2008 pour les pétroles conventionnels et le serait vers 2020 pour les pétroles non-conventionnels de schistes ( * cf JM Jancovici et le rapport « energy outlook »), d’où l’absolu nécessité de relancer d’autres sources d’énergie pour accompagner la voiture électrique et la fin du pétrole bon marché ; après des mouvements oscillatoires qui masquent les rendements d’extraction décroissants, le prix de l’or noir risque d’augmenter continûment à partir de 2025. Le président de Total prévoit d’ailleurs un choc pétrolier ds 2020 (*).
  • Enfin, la nuance établie par le GIEC entre un maximum de 2 degrés de réchauffement, ramené récemment à 1,5 degré, n’est pas anodine et vise à éviter la fonte du permafrost et de la calotte glaciaire dont les conséquences rétroactives seraient catastrophiques pour le climat (dégagement d’une masse énorme de méthane).

Des risques croissants de crise économique et financière

Les prévisions de croissance économique pour 2019 ont été révisées quatre fois en baisse depuis octobre 2019 par les principaux organismes internationaux (BCE, Commission européenne, FMI, OCDE) pour se caler légèrement au-dessous de 3 % (* OCDE =2,9 %).

La tendance conjoncturelle la plus récente est donnée par l’indicateur PMI de Markit qui ressort dans la zone euro à son plus bas niveau depuis 7 ans. Au troisième trimestre, la croissance de la zone s’est limitée à moins de 1 % et la perte d’activité liée au Brexit pourrait l’amener aux alentours de zéro en 2020 (selon le FMI et l’OCDE, le Brexit provoquerait une récession de 3% en Grande Bretagne et une perte de O,5% du PIB pour la zone euro). Des signes de ralentissement sont également observés en Russie, en Chine et au Japon ainsi que dans de nombreux pays s’agissant de l’activité industrielle.

En définitive, la croissance économique mondiale est largement entretenue aujourd’hui par les États-Unis (environ 2,5%) qui sont cependant vulnérables puisqu’ils abordent leur onzième année de croissance, soit le cycle le plus long de l’histoire et dopé, depuis juillet 2019, par des baisses de taux d’intérêt. Cette tendance est-elle durable ?

Dans un contexte de croissance vraisemblablement très faible en 2020, un choc pétrolier est de nature à provoquer une nouvelle crise financière à moyen terme.

Deux éléments sont à prendre en compte :

  • Comme indiqué récemment par le PDG de Total(*), le prix du pétrole est à un niveau anormalement bas qui a paralysé depuis plusieurs années l’exploration pétrolière. Nul doute que celle-ci se trouve désormais dans les rendements décroissants puisque le coût d’extraction des pétroles de schistes est 3,5 fois supérieur (*) à celui des champs du Proche-Orient.
  • Le risque de crise financière est exprimé par le ratio d’endettement total par rapport au PIB qui est passé de 2 au début des années 2000 à 3 environ aujourd’hui (*); ce niveau d’endettement, nettement supérieur à celui de 2008, fait dire à Jean-Claude Trichet (*), ex président de la BCE : « Si rien n’est fait pour infléchir le cours des décisions privées et publiques, nous affronterons inévitablement une nouvelle crise financière mondiale. »(*)

A noter que les anticipations de ce type se sont multipliées récemment sur le net dans un contexte où les risques de choc se multiplient par ailleurs : Brexit, Italie, détroit d’Ormuz, tensions Chine-Etats-Unis, Argentine etc…

L’émergence durant l’été dernier de taux d’intérêt négatifs dans des proportions massives confirme que les marchés sont « risk off ».

Mais le système bancaire est beaucoup plus robuste et bien mieux régulé qu’en 2008.

Le carré des solutions vertueuses

Le monde doit affronter les risques d’une descente énergétique sans précédent depuis l’ère industrielle. Il faut assumer ces risques en donnant la priorité absolue à la lutte contre le réchauffement climatique. Mais la descente énergétique ne peut être gérée que dans une société plus solidaire et égalitaire. Et l’opportunité fournie par des taux d’intérêt durablement très bas devrait permettre un plan massif de soutien à l’investissement public « anti-réchauffement » permettant par ailleurs de pallier les risques de récession et de crise financière.

Pour un prix mondial du carbone fondé sur la généralisation des quotas

Comme externalité négative, le carbone doit être taxé par un prix mondial unique comme demandé depuis 2015 par le prix Nobel d’économie Jean Tirole (*); ce prix doit faire l’objet d’une programmation à la hausse sur l’ensemble de la prochaine décennie pour permettre à l’industrie de s’adapter rapidement et progressivement.

« La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas commencée » déclarait récemment Jean Tirole ( * cf Europe 1), ce qui est malheureusement confirmé par le dernier rapport du GIEC et des Nations Unies (*).

Le schéma qui devrait être suivi pour le secteur du business (industrie et services) devrait être :

  • La généralisation des permis d’émettre pour tous les pays et tous les secteurs.
  • La fixation d’un prix unique du carbone résultant du contingentement et de la vente des permis.

Les mesures annoncées récemment par la Commission européenne vont timidement dans le bon sens : taxe carbone aux frontières et quotas pour éviter la délocalisation de la contrainte carbone.

Pour les particuliers, la taxe n’est pas l’outil adapté. Il vaudrait mieux utiliser une mode régulation plus souple : obligation de renouveler avant une certaine date les équipements polluants avec des crédits d’impôt et le début d’un contingentement de la consommation d’énergie qui, d’une manière ou d’une autre, deviendra incontournable à l’avenir.

Pour une monnaie carbone

Proposée par Michel AGLIETTA, cette « monnaie » prendrait la forme de « certificats d’économie » de carbone découlant de l’innovation, de l’investissement et de la réorganisation des processus de production ad hoc.

Elle serait convertible dans les banques et ferait l’objet d’une opération de « monnaie hélicoptère » financée par la communauté mondiale des Banques centrales. L’opération contribuerait à faire remonter le taux d’inflation et à éroder le poids de l’endettement mondial.

En définitive, le monde est désormais confronté à la descente énergétique résultant d’un « double pic » infranchissable :

  • Le pic climatique inacceptable pour l’avenir de l’humanité.
  • Le pic énergétique qui découle du précédent, mais aussi de la diminution tendancielle de « l’énergie nette » ( il faut désormais un baril de brut en input pour extraire 25 barils de brut contre un rapport de 1 à 100 jadis, cf JM Jancovici *).

Le même auteur-conférencier a démontré (*conférences sur le net) qu’il existait une corrélation parfaite entre croissance du PIB et variation de l’« énergie nette ». Il faudra tenir compte à l’avenir pour évaluer ce concept essentiel de « l’énergie nette », dont nous pourrons disposer macro-économiquement et réellement, non seulement de la loi des rendements décroissants qui s’appliqueront désormais au pétrole, au gaz et au charbon, mais aussi des coûts de recyclage des déchets et de l’éventuelle « réparation de la planète » ( cf essor de la géo-ingénierie ?) que les économistes devront enfin traiter comme des coûts d’amortissement d’un capital-nature insoupçonnés ou niés par les pères de l’économie politique. Cela suppose un changement profond des mentalités, y compris dans les milieux académiques.

Le passage de la croissance entre les « deux pics » est étroit. Il peut prendre deux formes :

  • L’effondrement tragique ( * cf Yves Cochet).
  • L’atterrissage en douceur dans la « vallée de la sobriété ».

Dans le second cas, l’atterrissage n’est possible que dans une solidarité qui redessine les rapports sociaux dans un monde à croissance très faible.

Pour redonner du pouvoir d’achat aux salariés

Redonner du pouvoir d’achat aux salariés sera indispensable car ils seront indirectement impactés par la taxe carbone sur les entreprises.

Une large palette de moyens existe sans détériorer la compétitivité des entreprises et dans un cadre mondial : développement-généralisation de l’intéressement et de la participation sur le modèle français ; association des salariés sur le modèle de la cogestion à l’allemande, distribution gratuite d’actions aux salariés, nouveaux déplacements du curseur entre salaires bruts et salaires nets, ce qui suppose de définir de nouveaux impôts pour financer la protection sociale. Ces impôts pourraient porter sur les transactions financières.

Pour une réduction des inégalités

Loin d’être un beau slogan, la réduction des inégalités est la condition même d’une plus grande sobriété collective. Elle doit notamment mettre fin au mécanisme de « rivalité mimétique » ( * cf Daniel Cohen, René Girard) qui conduit à la course sans fin au « toujours plus » qui nous emmène droit dans le mur climatique.

La mesure préconisée est l’écrêtement des grosses rémunérations (à définir) à affecter par priorité au désendettement public ou au financement de la transition énergétique.

Pour un plan massif de relance coordonné de l’investissement public visant à intensifier la lutte contre le réchauffement climatique :

Consenti par l’ensemble des pays sous l’égide du G 20 et dont la préparation pourrait être confié en amont à un « Comité de prix Nobel », ce plan viserait deux objectifs :

  • Stabiliser l’économie à court terme et
  • Intensifier la lutte contre le réchauffement climatique à moyen long terme en enclenchant les infrastructures-clé permettant également de faire levier avec l’investissement privé.

Ce plan est rendu possible par la conviction largement partagé par la communauté des économistes du caractère durablement bas des taux d’intérêt (* cf. : P. Artus, E. Pisani-Ferry …).

Elle s’explique, outre la politique super-accommodante des Banques centrales par le déséquilibre durable entre épargne (inégalités trop fortes) et investissement (perspectives de croissance trop faibles).

A noter que parmi les huit principaux pays émetteurs de carbone, l’Allemagne, la Russie, l’Inde et la Chine disposent de capacités d’endettement non négligeables. Par ailleurs, 116 pays dans le monde disposent d’un endettement inférieur ou proche de 60 % du PIB, la moyenne générale se situant autour de 80%. Il existe donc une marge de manœuvre coopérative.

Les chantiers prioritaires nous semblent être au nombre de quatre:

  • Le nucléaire de la quatrième génération subitement abandonné par la France en août 2019 (cf projet « Astrid » lancé par les présidents Chirac et Sarkozy) ; de puissance inégalée, il recycle les déchets et utilise une quantité beaucoup plus faible d’uranium ce qui maximise les réserves à 200 ans au lieu de 40 ans actuellement (*cf. : JM Jancovici).
  • La rénovation énergétique des bâtiments publics et des logements en vue d’atteindre la neutralité carbone.
  • La reconversion de l’industrie automobile vers les moteurs électriques et hybrides ;
  • La reconversion des lignes aériennes intérieures en lignes ferroviaires.

L’ensemble des mesures découlant du « carré vertueux » devrait être porté par une session spéciale du G20 en 2020 en en confiant la préparation à un Comité de prix Nobel ou d’économistes reconnus.

Maxime Maury*, Jean-François Verdie**

*Professeur affilié, TBS Business School, Docteur en Sciences Economiques, ancien Directeur de la Banque de France, Région Occitanie. **TBS Business School, Docteur en Sciences de Gestion.
Fermer le menu