Le modèle que vous avez développé traite à la fois d’économie et d’environnement, comment s’articulent ces deux sujets ?

Ce modèle est à l’intersection de l’économie et de la climatologie. Il permet de prévoir l’impact d’une politique environnementale (taxe carbone et subventions à différents secteurs de recherche) sur plusieurs éléments, dont la production et la consommation mondiales mais aussi la consommation d’énergie et les émissions de carbone. Ou, inversement, de déterminer la politique à mettre en place pour atteindre un objectif précis. C’est ici que la climatologie intervient : elle nous donne la variation de température provoquée par les émissions de carbone. Ensuite nous traduisons ce changement climatique en coût économique. C’est une boucle : on calcule les émissions actuelles et futures de CO2, la climatologie nous indique l’impact environnemental, que nous intégrons à un modèle économique.

Qu’est ce que le coût économique d’une hausse de température ?

Non. C’est le rôle des décideurs politiques de choisir le niveau de dégâts écologiques et économiques « souhaité ». Dans un premier temps on construit des scénarios. Par exemple, on veut que les gaz à effet de serre, c’est-à-dire le stock de carbone accumulé dans l’atmosphère, ne dépasse pas les 500 ppm (ppm : partie(s) par million. il s’agit du rapport entre le nombre de molécule de CO2 et le nombre de molécules de l’atmosphère. En 2012, la concentration de CO2 dans l’atmosphère en proche de 400 ppm). On intègre cette contrainte dans le modèle et on le résout afin qu’il nous donne les mesures à prendre pour rester sous la limite fixée. Il y a une infinité de scénarios et donc de résultats possibles. C’est un outil à la disposition des décideurs politiques, qui choisiront un scénario. Il ne faut pas oublier qu’une politique environnementale a un coût pour la société qui l’applique : c’est aux dirigeants des différents pays de décider des sacrifices à faire aujourd’hui pour limiter une perte future. En revanche il y a un scénario qui serait particulièrement dangereux, il s’agit du laissez-faire. Les climatologues estiment qu’avec lui, la concentration de carbone dans l’atmosphère dépasserait les 1000 ppm à la fin du siècle, provoquant une augmentation de la température de 4 à 5 degrés, qu’ils considèrent catastrophique. En termes économiques, l’impact du laissez-faire coûterait 5% du PIB mondial en 2100.

Vaut-il mieux taxer les émissions de carbone ou subventionner la recherche dans les énergies vertes ?

Il vaut mieux faire les deux. Et les subventions ne concernent pas seulement la recherche verte. Nous modélisons l’effet des subventions dans trois secteurs : la production d’énergie en général, la « backstop » qui correspond à toutes les énergies non carbonées, et enfin la « carbone capture and sequestration » qui peut-être efficace, notamment si l’on pense à la Chine qui dispose de beaucoup de charbon. Les subventions à la recherche sont essentielles car la possibilité d’imiter ou de copier une innovation technologique réduit considérablement les incitations à investir dans la recherche. Nous intégrons également la taxe carbone, ou, ce qui est équivalent, le prix du permis de polluer, et son effet sur la consommation d’énergie. 
Ce que nous montrons dans le modèle, c’est que des outils isolés ont généralement peu d’effet. Il faut au contraire combiner ces outils, car ils sont complémentaires. C’est un résultat important. Concrètement, une taxe carbone bien calculée aura un effet sur l’extraction mais pas sur la recherche et inversement subventionner la R&D verte permet de développer ce secteur, mais n’aura pas d’effet sur l’extraction. L’effet le plus important est obtenu en combinant taxes et subventions. 

Le modèle montre aussi que les taxes sur le carbone ne doivent pas progresser trop vite… 

Oui, il faut qu’elles croissent dans le temps, mais pas trop vite, car si le marché le comprend et l’anticipe, il va avoir intérêt à extraire le plus vite possible. C’est ce qu’on appelle le « green paradox » : on s’aperçoit aujourd’hui que certaines politiques économiques qui peuvent sembler désirables pour réduire ou limiter les émissions de gaz à effet de serre ont des effets pervers à court terme. De la même manière, si, au lieu de taxer le carbone, on subventionne les ressources non carbonées (solaire, éolien, nucléaire, etc.), les producteurs et les utilisateurs de pétrole, de gaz ou de charbon vont comprendre que ces nouvelles ressources seront bientôt disponible à des prix extrêmement compétitifs, et qu’ils risquent de perdre leur marché. Ce qui peut les inciter à produire et utiliser une très grande quantité de ressources carbonées immédiatement…

C’est une des raisons pour lesquelles il est difficile de trouver un accord international pour une politique climatique globale ?

Oui, mais c’est loin d’être la seule… Les différents échecs des sommets internationaux, comme celui de Copenhague, ont plusieurs raisons. Beaucoup d’entre elles sont relatives à l’acceptabilité sociale d’une politique environnementale. Car le gain à long-terme requiert un sacrifice à court-terme : on parle de pénaliser les générations présentes au profit des générations futures. Et précisons que cette pénalité a de forte chance d’être inégalitaire : taxer le carbone ferait augmenter la part du transport dans le budget des ménages mais dans une proportion bien plus importante chez les ménages les plus pauvres. Ce qui s’apparenterait à une redistribution des plus pauvres vers les plus riches ! 
Enfin, et c’est peut-être l’explication principale des échecs des sommets internationaux, les différents pays ont des intérêts très divergents. Nous avons déjà évoqué les impacts différents en fonction des régions du monde, mais il faut aussi comprendre que certains pays ont énormément à perdre. On peut penser au pays producteurs de pétrole qui ne sont certainement pas prêts à renoncer à la rente pétrolière et n’ont donc aucun intérêt à court ou moyen terme, à accepter une taxation de leurs exportations. Ils sont farouchement opposés à un accord international et ne sont pas les seuls. Il faut considérer également deux situations très particulières qui sont celles des Etats-Unis et de la Chine. Les premiers consomment énormément plus de carbone par personne que le reste du monde, et 2 à 3 fois plus que les Européens. Pour les Américains, une politique environnementale provoquerait une remise en cause de leur système de société et de consommation. Ensuite la Chine : pour le moment elle consomme peu, mais la croissance de la consommation de carbone est liée à la croissance économique et est très importante. Et c’est un pays qui dispose de très vastes ressources de charbon dont elle n’acceptera pas de se priver, du moins pas sans contrepartie. Enfin, on pourrait également ajouter les différences culturelles entre les pays, qui font que nous n’avons pas tous la même conception de l’enjeu environnemental, ce qui contribue à rendre très difficiles les négociations. 

Une politique environnementale doit-elle forcément être mondiale ? 

Oui, autrement elle ne servirait à rien. A la limite elle pourrait avoir valeur d’exemple, mais sans plus. Le changement climatique engendré par la pollution est une externalité mondiale, qui touche tous les pays, même si elle les touche différemment. Une politique environnementale ne peut-être efficace que si elle globale. Ce qui nécessite de tenir compte des situations particulières de chaque pays, car certains n’auront intérêt à signer qu’en échange de compensations importantes.


Pr. André Grimaud (Toulouse School of Economics)

Reconnu internationalement pour la qualité de ses travaux, membre du Conseil Français de l’Énergie et du Center for Economic Studies and the Institute for Economic Research, André Grimaud est l’auteur, avec Gilles Lafforgue et Bertrand Magné, d’un modèle qui permet de prévoir les effets économiques des politiques environnementales. Il a accepté de nous rencontrer pour nous présenter ce modèle et nous expliquer les enjeux politiques et économiques à l’œuvre dans la recherche d’une politique environnementale internationale. 

SPÉCIALITÉS : Économie industrielle, macro-économie, économie urbaine, économie de l’environnement 

INSTITUTIONS : Toulouse School of Economics (TSE) / Laboratoire d’Économie des Ressources NAturelles (LERNA) / Toulouse Business School (TBS) 

RÉFÉRENCE : L’entretien porte sur l’article Climate Change Mitigation Options and Directed Technical Change: A Decentralized Equilibrium  Analysis 
par A. Grimaud, G. Lafforgue et B. Magné. 
Paru dans Ressource and Energy Economics, vol. 33, n°4, 938-962, Novembre 2011. 

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